Longtemps, la figure de Méduse a hanté les récits mythologiques et l’imaginaire collectif comme celle d’un monstre pétrifiant, incarnation de l’horreur absolue. Pourtant, à mesure que les interprétations évoluent et que le regard moderne s'intéresse aux voix oubliées des mythes, Méduse s’impose désormais comme une figure ambivalente, marquée par la souffrance, l’injustice et la violence. Derrière la Gorgone effrayante, c’est une femme brisée qui apparaît. Une relecture tragique s’impose, révélant la profondeur humaine d’un être trop longtemps réduit à sa monstruosité.
Dans la tradition grecque, Méduse est l’une des trois Gorgones, les seules créatures dont le regard peut transformer les êtres vivants en pierre. À la différence de ses sœurs Sthéno et Euryale, Méduse est mortelle. Dotée de cheveux faits de serpents, d’un regard foudroyant et d’un visage hideux, elle devient l’incarnation d’un danger absolu que seul le héros Persée parvient à vaincre, avec l’aide des dieux. En décapitant Méduse, il utilise sa tête comme arme et triomphe ainsi de nombreux ennemis. Pendant des siècles, cette version du mythe a dominé : Méduse y est perçue comme un obstacle, une bête sauvage à terrasser pour permettre le triomphe de l’ordre et du courage héroïque.
Ce n’est que plus tard, notamment dans la version du mythe racontée par le poète romain Ovide dans ses Métamorphoses, que Méduse prend une tout autre dimension. On apprend qu’elle était à l’origine une belle jeune femme, prêtresse d’Athéna. Sa vie bascule lorsqu’elle est violée par Poséidon dans le temple même de la déesse. Athéna, offensée par la profanation de son sanctuaire, décide de punir… Méduse. Elle la transforme en monstre, lui donne des serpents à la place des cheveux et la condamne à vivre seule, rejetée de tous, vouée à l’effroi. Dès lors, Méduse n’est plus un simple monstre : elle est une victime d’une double violence, celle du viol, et celle de la punition injuste. Son image terrifiante devient le reflet de la douleur infligée par un système patriarcal où les femmes subissent sans recours les conséquences des actes des dieux.
À partir du XXe siècle, Méduse devient un symbole féministe puissant. Des penseuses comme Hélène Cixous ou Silvia Federici s’approprient la figure de la Gorgone pour dénoncer la peur du pouvoir féminin et la stigmatisation de la colère des femmes. Dans ce contexte, le regard pétrifiant de Méduse n’est plus une malédiction, mais une revanche : celle d’une femme détruite qui, par sa seule présence, impose le respect et la crainte. Elle incarne la transformation de la douleur en puissance, de la victime en symbole de résistance. Des artistes, écrivaines, militantes et réalisatrices redonnent à Méduse une voix, une histoire, une dignité. Son image est récupérée, détournée, valorisée : de monstre, elle devient muse.